Des souvenirs à la pelle ? (Steademes)

Il faisait si noir au-dehors, que la lune ne pouvait être pleine cette nuit. En fait, il faisait si sombre qu'il était même fort probable, que cette dernière soit dans une phase que l'on appelle "nouvelle lune". Une phase durant laquelle elle ne se trouvait donc pas dans le ciel nocturne. Et c'était sans aucun doute ce qui pouvait expliquer que cette nuit en particulier soit aussi ténébreuse.

Ne parvenant point à trouver le sommeil et lasse d'observer l'inobservable dans cet horizon baigné par l'obscurité, Archibald se leva de son lit, après avoir allumé sa petite lampe de chevet. Sur celui-ci, se trouvait également un livre d'Histoire exposant en long, en large et en travers toutes les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, qui avait eu lieu en Europe de 1939 à 1945 - une guerre à laquelle il avait pris part. Étant né sur le territoire français, il s'était toujours senti très concerné par ce genre de conflit. Et lire ce genre d'ouvrage, lui permettait - à la fois - de ne pas oublier, mais aussi de canaliser certaines de ses émotions néfastes en lisant. En se remémorant les champs de bataille au travers chaque ligne, un peu comme s'il y était à nouveau. Presque comme si, juste en fermer les yeux, en se plongeant à nouveau dans ses souvenirs, il pouvait une nouvelle fois libérer toute sa colère, sa frustration... Son côté animal et sanguinaire.

Poussant sa lourde couette sur le côté de son lit, Archibald quitta la douceur de ses draps sans trop se poser de question. Il ne dormait plus depuis longtemps, tout en sachant qu'il ne parviendrait pas à trouver le sommeil ce soir. Alors à quoi bon s'acharner à demeurer ainsi des heures durant, en laissant voguer son âme dans les méandres de ses pensées ? D'autant, que chez Archibald, cela ne s'avérait pas toujours et nécessairement une bonne chose pour lui, que de s'aventurer trop loin - et seul - dans ses souvenirs les plus lointains. Et il n'y avait qu'une seule personne au monde, en qui il avait suffisamment confiance et pour qui il avait suffisamment d'affection, pour se laisser pleinement aller à ses songes. Rory - son amour de toujours. Et quand bien même le secret de cet amour de l'était pour personne, il aimait parfois à le croire. Étant donné que Rory n'avait jamais réellement fait de lui une exclusivité, c'était moins douloureux pour lui, de s'imaginer que ce dernier n'avait guère connu ses réels sentiments à son égard. Eh voilà... Pensa-t-il surprit, sans tout à fait l'être. Il en venait toujours - ou presque - à penser à Steadworthy. Et ceux, depuis le jour de leurs toute première rencontre, il y a un peu plus de cinq cents ans maintenant.

Cinq cents ans qu'il pensait à lui, cinq cents ans qu'il chérissait cet homme sans jamais avoir reçu la moindre distinction vis-à-vis de ses autres conquêtes. Il pouvait y avoir là de quoi devenir fou. Et pourtant, sans trop savoir pourquoi, Archi' se raccrochait indéniablement au fait, à espoir, que Rory daigne un jour faire de lui son seul et unique amour. En attendant, il ne pouvait que se montrer patient tout en acceptant tout ce que le beau Rory voulait bien lui donner. C'était sans doute un peu masochiste comme comportement, mais le fait d'aimer quelqu'un en soi en était déjà très probablement. Alors, Archibald - pour sa part - préférait nettement préserver ses sentiments envers une seule et même personnes, plutôt que d'avoir à offrir son amour à quelqu'un d'autres pour que cela se solde finalement par un échec, souffrir et avoir à tout recommencer ensuite. Ça, c'était peut-être bien plus maso, que ce que lui faisait, non ?

Plongeait dans ses réflexions, alors qu'il venait de vider une poche de sang dans sa totalité, en guise de petit-déjeuner, alors qu'il faisait les cent pas, Archibald ne réalisa que beaucoup plus tard, que les premières lueurs du jour, étaient en train de faire leurs apparitions. Et honnêtement, après avoir passé une nuit aussi mauvaise, dans la solitude la plus profonde, à penser au seul être qui serait en mesure de réchauffer un tant soit peu son petit cœur de pierre, il n'avait qu'une envie : c'était d'aller retrouver Rory - peu importe si l'aurore se levait à peine. C'est ainsi que, les mains bien logées au fond de ses poches, Archibald se retrouva à traverser à grande enjambée le jardin des Steadworthy au petit matin. Ce dernier était plutôt paisible, verdoyant, fort bien entretenu et débuchait finalement sur une belle demeure dans le style néo-renaissance. En apercevant la maison d'un peu plus loin, Archi' eut presque l'impression de remonter dans le temps. Il avait foulé le sol de cette terre si souvent, que l'on aurait aisément pu penser qu'il ne se souvenait pas à quand remonter la toute première fois. Pourtant, il s'en souvenait quasiment comme si c'était hier...

La démarche gracile, aussi légère et imperceptible que celle d'un félidé, Archibald demeurait toujours plongé dans ses pensées tandis qu'il s'approchait indéniablement de la bâtisse ou demeura son amant - pour ne pas dire, son seul et unique amour, bien qu'il savait au fond de lui que la réciprocité de ses sentiments n'était pas nécessairement vrai ou équivoque. Pourtant, Rory Steadworthy avait bel et bien des sentiments à son égard, dans le cas contraire, Archibald ne se serait jamais (ô grand jamais) montré si patient envers lui. Jamais non plus, il aurait entretenu la flamme qui brûlait pour lui en son cœur. Non, il aurait sans nul doute préféré tuer tous ses espoirs dans l'œuf plutôt que de les chérir à travers le temps. Même si chercher à éteindre un feu aussi carnassier que celui qui le consumer aurait probablement relevé du miracle. Sa passion pour le beau Rory était, sans aucun doute, trop grande et visiblement inconditionnelle. La véritable question, finalement, demeurait peut-être - encore et toujours - en avait-il (Rory) seulement conscience ?

Balayant d'un revers de tête tous ses songes qui l'assaillaient, Archibald choisit momentanément de revenir à la réalité le temps d'un instant. Le temps de faire, ne serait-ce que la lumière sur sa présence ici, au maître des lieux. Il s'apprêta alors à sonner à la porte quand son attention se porta tout à coup à la fenêtre entrouverte situé à l'étage, on ne peut plus haut. Se laissant aussitôt séduire par l'idée qui venait de germer dans son esprit, Archi fit quelques pas en arrière avant de donner un petit coup à terre afin de s'élancer jusqu'à l'encadrement de la fenêtre. Il sourit légèrement en découvrant Rory, encore endormi, lorsqu'il se pencha un peu pour regarder à travers le verre. Puis sans se poser davantage de question, il entra. De là, il remarqua l'étonnant bazar qui régnait dans la pièce. Quelques objets anciens, quelques dessins, mais aussi du tissu et un nombre incalculable de photos. Visiblement, il ne fut point le seul cette nuit à s'être laissé emporter par les dédales parfois abyssaux des êtres surnaturels. Car vivre aussi longtemps, n'était pas toujours un cadeau dans une certaine mesure. Se rapprochant un peu, il finit par trouver au milieu de cette petite pagaille, une photo de Rory et lui. La saisissant entre ses doigts, on pouvait aisément remarquer que celle là datait un peu - probablement d'un y a un siècle ou deux. Il n'y avait pas de date, mais Archi reconnu sans trop de difficulté l'occasion pour laquelle leur image avait été figée. C'était une fête, organiser par la famille de Rory, il ne se souvenait pas de l'année exacte, mais il était convaincu que c'était une soirée pour célébrer la nouvelle année qui débutait en ce temps-là. Nostalgique, mais aussi plus amoureux que jamais, il s'autorisa à glisser la photographie dans la poche intérieur de sa veste - Rory ne lui en voudra sûrement pas de l'avoir fait... Laissant finalement son regarder se faufiler sur les courbes du garçon qui dormait tout près, Archibald vient doucement s'approcher en l'entendant panteler. Probablement, qu'il était en train de rêver, pensa-t-il aussitôt, il ne put le dire avec certitude, mais en le voyant ainsi, presque s'haleter, Archi vient s'allonger à son côté tout en portant une main sur son dos dénudé. « Sois tranquille, je suis là maintenant... » murmura-t-il à son attention.

On ne pouvait nier qu'Archibald avait un côté parfois brut de décoffrage. Sauvage. Et il n'était pas du genre à s'attendrir pour la moindre petite chose, la moindre petite attention, le moindre petit geste ou le moindre mot. Sauf, peut-être, lorsqu'il s'agissait de Rory. Là, c'était plutôt son côté humain qui prédominait le côté prédateur de ce qu'il était. Mais de quelle façon était censé résister à cet homme ? Il n'y parvenait déjà pas lorsqu'il était éveillé et qu'il était capable d'aligner plus de deux en leur donnant un véritable sens. Alors être là, tout près de lui à l'entendre marmonner une suite de mots qui n'avait littéralement aucun sens en dépit de tous les efforts qu'il semblait fournir pour leur en donner un, c'était à la fois ridicule et terriblement attendrissant.

Il savait néanmoins qu'il ne devait, en aucunement manière chercher à interpréter ces quelques mots sorti aléatoirement de son esprit encore endormi, quand bien même le mot Amour lui avait agréablement réchauffer le cœur. Sonnant à ses oreilles comme une douce mélodie. Il ne savait que trop la souffrance et la frustration engendrée par une mauvaise interprétation.

Sentant le corps de Rory se mouvoir lentement sous son contact, le rendis tout chose. Il sourit, en le voyant se rendormir tout en réclamant de nouvelles caresses. Ne cherchant pas à le réveiller, il continua simplement de faire ce qu'il était train de faire. Laissant sa main parcourir son dos. Admirer les jolis traits de son visage. Il n'avait pas besoin de lui parler pour sentir que son propre esprit s'était apaisé après cette nuit sans sommeil. Sa seule présence lui suffisait.

Désolé. Avait-il murmuré en venant passer sa main sur son torse.

« Désolé, mais pour quelle obscure raison le serais-tu my dear ? »